26/04/2022

HumanFace : un financement ERC pour comprendre la reconnaissance des visages


Bruno Rossion, directeur de recherche CNRS, a obtenu un financement européen ERC Advanced afin de tester ses théories sur la manière dont nous reconnaissons les visages. Il estime que la mise en lumière de ces mécanismes complexes ouvrirait la voie à une compréhension plus large du fonctionnement du cerveau humain.

Notre capacité à reconnaître l’identité des personnes par leur visage joue un rôle essentiel dans notre rapport aux autres, mais ces mécanismes pourraient également nous éclairer de façon plus générale et profonde sur le fonctionnement de notre cerveau. C’est en effet la théorie de Bruno Rossion, directeur de recherche CNRS au CRAN.

« J’essaie de comprendre comment le cerveau reconnaît les visages, explique Bruno Rossion. En plus de l’identification, j’étudie comment nous utilisons différents indices pour distinguer, par exemple, le sexe ou l’état émotionnel à partir du visage. Le cerveau humain adulte y parvient de manière extrêmement rapide et automatique : on ne peut malheureusement pas s’empêcher de reconnaître instantanément quelqu’un qu’on n’apprécie pas lorsque l’on croise son visage. »

Face inférieure du cerveau, cartes cérébrales représentant les régions (en rouge) associées à des réponses neurales spécifiques pour les visages et impliquées dans la discrimination d’identités faciales. Jacques et al., 2020, Jonas et al., 2016

"Le jour où l’on aura compris comment fonctionne la reconnaissance faciale, on aura accompli un grand pas vers la compréhension du cerveau humain."

Pour ses recherches, Bruno Rossion avait déjà bénéficié en 2011 d’un financement ERC d’un montant d’un million et demi d’euros. Ce programme était focalisé sur un développement méthodologique clé pour mieux comprendre la cognition, avec une application à la reconnaissance faciale. L’idée était de stimuler le cerveau avec des images présentées à fréquences fixes et rapides, par exemple six images par seconde. En optimisant la fréquence de stimulation et en analysant de façon prédéterminée les signaux cérébraux générés exactement à cette fréquence (six Hertz), on augmente considérablement l’objectivité et la sensibilité des examens.

« À ce rythme, on peut effectuer un examen d’une heure en seulement quelques minutes, ce qui permet de tester efficacement des enfants ou des populations cliniques, et de comparer objectivement leurs signaux obtenus aux mêmes fréquences, souligne Bruno Rossion. Nous avons ainsi pu découvrir en 2015 que les bébés de quatre mois possédaient déjà une région de l’hémisphère droit dédiée à la reconnaissance des visages. Cela a battu en brèche l’idée que cette région se retrouvait à droite à cause d’une compétition avec d’autres aptitudes liées au langage, comme la lecture. »

Fort de ces résultats, Bruno Rossion a obtenu un second financement ERC en 2022, intitulé HumanFace. Il prévoit de se concentrer cette fois sur la construction d’un nouveau cadre théorique de la reconnaissance faciale, qui considère le cerveau avant tout comme un organe biologique servant à la reconnaissance.

« De la même manière que le système immunitaire est un système de reconnaissance d’agents pathogènes, le système nerveux central est apparu au cours de l’évolution afin de répondre de façon adaptative à un environnement constitué de signaux très divers, riches et ambigus, appuie Bruno Rossion. Pour comprendre le fonctionnement du cerveau, il faut comprendre sa forme de reconnaissance la plus aboutie. Je pense que, dans notre espèce, il s’agit de la reconnaissance de l’identité faciale ». 

"Percevoir un visage, c’est la rencontre directe entre une entrée sensorielle et la mémoire."

L’être humain adulte est en effet capable de reconnaître des milliers d’identités par le visage, de façon automatique et littéralement en un clin d’œil. Bruno Rossion émet l’hypothèse, controversée de son propre aveu, que l’espèce humaine présente des mécanismes propres de reconnaissance faciale, avec des circuits cérébraux et une latéralisation hémisphérique droite que l’on ne retrouve pas chez d’autres espèces animales. Il remet ainsi en cause l’utilisation, pourtant courante en neurosciences, de macaques rhésus comme modèles d’étude de la reconnaissance faciale et se concentrera donc sur le cerveau humain. 

Toujours sur le plan théorique, Bruno Rossion considère également que le cerveau n’est pas un système de traitement ou de décodage de l’information présente dans l’environnement, mais que cette information est construite sur la base d’une mémoire qui dépend essentiellement de l’expérience.

 « Les stimuli sensoriels de l’environnement sont fondamentalement ambigus, et la perception – celle d’un visage sur la lune ou dans un tableau d’Arcimboldo – n’est qu’une expérience subjective qui émerge lorsque ces stimuli rencontrent notre mémoire », poursuit-il. Dans ce cadre, les sciences de l’information interviennent surtout au niveau du traitement des signaux cérébraux et de leur modélisation, plutôt que de leur interprétation.

C’est ce cadre théorique qu’il compte tester à travers différentes études, notamment grâce à des enregistrements électrophysiologiques chez des patients épileptiques réfractaires aux médicaments. Ils sont en effet implantés temporairement avec des électrodes profondes dans le cerveau, une technique qui aide à planifier une chirurgie corticale, ici utilisées pour mesurer l’activité cérébrale jusqu’au niveau des neurones. De quoi permettre à Bruno Rossion de tester au mieux ses hypothèses et d’évaluer la cohérence interne de sa théorie.

Les régions cérébrales spécialisées dans la reconnaissance faciale peuvent être stimulées électriquement chez des patients épileptiques implantés avec des électrodes intracérébrale, provoquant l’interruption brève de la reconnaissance de visages connus. Volfart, A., Yan, X., Maillard, L., Colnat-Coulbois, S., Hossu, G., Rossion, B., & Jonas, J. (2022)

Article source : INS2I